Service d’art à domicile

Percevant l’isolement, la solitude, les difficultés de mobilité et d’accès aux services pour les personnes âgées ou empêchées et la vulnérabilité des professionnel·le·s des métiers du soin, Derrière Le Hublot impulse cette année la création d’un Service d’art à domicile en écho aux services d’aide à domicile. Une expérimentation autour du bien vieillir et du prendre soin, qui se déroulera sur le territoire capdenacois avant de devenir un service reproductible et partageable pour d’autres territoires.

Le principe du Service d’art à domicile est simple : il s’appuie sur la mise en relation d’un artiste avec un bénéficiaire de l’aide à domicile, grâce à l’aide précieuse d’un⸱e auxillaire de vie, pour un moment de partage artistique dans l’intimité des foyers de ces personnes vivant, malgré eux·elles, isolé·e·s de la société. Comment favoriser la qualité de vie, faire qu’au-delà des soins de première nécessité puisse être maintenue une vie sociale, une considération de l’individu, une rencontre avec les arts et langages symboliques ? Comment donner naissance à une relation nouvelle entre les auxiliaires de vie et les personnes à domicile à partir de la présence d’artistes ? C’est avec ces deux questions en ligne de mire que Derrière Le Hublot a imaginé en 2021 les contours de ce service innovant.

Pour ce faire, nous nous sommes rapprochés de deux chercheur⸱euse·s, la designer-anthropologue de la santé Marine Royer et le sociologue François Huguet, les invitant à définir les étapes d’une première phase d’expérimentation du Service d’art à domicile en facilitant la co-conception avec les personnes concernées, professionnel⸱le·s du secteur, aidant⸱e·s familiaux et artistes. Modéliser un tel service requiert une connaissance précise du quotidien des bénéficiaires et de leurs auxiliaires de vie. La fréquence (quotidienne et hebdomadaire) des visites, les tâches accomplies, les temps creux de la journée, la relation entre l’usager·ère et le·la professionnel·le, les trajets réalisés par l’aide à domicile dans leur journée de travail… sont autant d’éléments qui nous aideront à définir les interstices dans lesquels l’artiste pourra s’immiscer et les étapes d’un protocole de rencontre entre ce dernier et le bénéficiaire.

Au début de l’année, une observation de terrain a eu lieu avec le concours de l’ADMR du Pays de Capdenac. Les premières formes d’interventions artistiques in situ avec la complicité d’artistes d’horizons divers seront testées en novembre prochain.

Service d’art à domicile : de quoi s’agit-il ?

Le projet de construction d’un Service d’art à domicile sur le territoire de Capdenac est issu d’une volonté de Derrière Le Hublot de formaliser, de manière participative et innovante, un programme d’action artistique et culturelle singulier à destination des personnes âgées ou empêchées, des auxiliaires de vie sociale et des aides à domicile.

En 2021, Fred Sancère & Delphine Datamanti de Derrière Le Hublot rencontraient Marine Royer & François Huguet de vives voies qui construisaient alors un projet de tiers-lieu mobile intégré à un pôle gérontologique aux côtés de la Croix-Rouge française, de ses bénévoles, des résidentes et résidents de ses EHPAD, de leurs proches, du Collectif Etc, de Bonnefrite et d’élèves de la Classe Préparatoire aux Grandes Écoles Arts et Design de Nîmes.

Suite à cette rencontre, à des séances de travaux collectifs sur les étapes nécessaires à la fabrication d’un Service d’art à domicile innovant tant sur la forme de la représentation et de présence de l’artiste que sur la médiation dont il fait l’objet (le rôle particulier de l’auxiliaire de vie dans le service) ; une première phase d’immersion a eu lieu à Capdenac en mai 2022.

Les artistes Yaëlle Antoine (metteuse en scène de la Cie d’Elles), Fred Naud (auteur conteur), les équipes de Derrière Le Hublot, de vives voies, les auxiliaires de vie sociale et aides-soignantes de l’association d’aide à domicile en milieu rural (ADMR) du Pays de Capdenac ont été les parties prenantes de cette phase d’enquête. Cette étape d’immersion et d’investigation collective a pu explorer les quotidiens, les gestes, les savoirs-faire mais également les « poétiques de la relation » à l’œuvre dans les activités de ces « femmes du lien » qui sillonnent les territoires ruraux de la région et passent de lignes de vie en ligne de vie en opérant des nœuds de relation, des liens tout à fait indispensables et indiscutablement précieux. Elle a aussi permis plusieurs tests artistiques où deux artistes ont pu s’essayer à une représentation singulière au domicile de personnes empêchées ou en situation de fragilité.

C’est à partir de ces cheminements et de ces expériences que le Service d’art à domicile cherche à se construire, à inventer un protocole (reproductible à d’autres territoires) capable de mettre en relation une ou un artiste avec une ou un bénéficiaire de l’aide à domicile.

Pourquoi construire un Service d’art à domicile ?

Depuis sa création, Derrière Le Hublot se mobilise pour mettre en œuvre une action artistique et culturelle au cœur du territoire qu’elle contribue à animer et à faire vivre. Quotidiennement, la structure qui est aujourd’hui labellisée « Scène conventionnée d’intérêt national – art en territoire » agit pour inscrire l’art et la culture dans notre quotidien, au contact et en interaction de toutes et de tous, à tout âge de la vie, le plus simplement possible, contribuant ainsi au vivre ensemble.

Forte d’une expérience unique de coproduction d’œuvres contextuelles et de formes de médiations implicatives favorisant la rencontre avec les populations et leur active participation à des projets ; Derrière Le Hublot vise, avec le Service d’art à domicile, à inventer une forme d’action artistique et culturelle capable de mettre fin au déni des vulnérabilités sociales qui concerne les situations d’isolement et de dépendance des personnes âgées et/ou en situation de handicap. Le Service d’art à domicile est, en effet, une expérimentation qui cherche à penser à partir des vulnérabilités pour concevoir un moment de partage artistique capable de dialoguer avec les gestes du soin, du care. Un moment de partage capable de rendre visible des modes d’invisibilité sociale discriminante (l’activité indispensable des auxiliaires de vie et des aides à domicile au sein des territoires ruraux de l’Aveyron et du Lot) et de « faire apparaître tout un monde rendu invisible, afin de les dénoncer et par la suite, de leur permettre de retrouver des conditions dignes de visibilité sociale » (Fleury & Fenoglio, 2022).

Le Service d’art à domicile est également un moyen de penser une rencontre avec les arts au sens large. Une façon d’engager des artistes, des auxiliaires de vie sociale, des aides à domicile, des personnes en situation d’isolement, de fragilité et/ou de dépendance, leurs proches, les habitantes et habitants d’un village dans un dispositif singulier où la parole, les gestes, la musique, le dessin, la photo, etc. deviennent autant de lignes de fuite vers une attention à l’autre renouvelée.

Le Service d’art à domicile est un protocole de rencontre qui nous interroge sur les liens sociaux et les façons d’améliorer les attentions aux autres. C’est également une façon de faire vivre une action artistique et culturelle inventive et de renouveler toujours les espaces de partage des sens, des savoirs et des arts.

Enquêter sur le soin, mobiliser le design

Renouveler les cadres de l’action culturelle pour porter un projet artistique singulier, sans cesse renouvelé, implique un travail d’enquête permanent. Puisque notre monde n’est pas à découvrir, mais à composer, à faire, à instaurer ; il nous faut apprendre à enquêter, à réinventer nos manières de voir, de penser et d’agir. Cela implique d’allier les savoirs et les pratiques de chercheuses et de chercheurs (en philosophie, histoire, anthropologie, économie, sociologie, etc.) aux compétences d’artistes de tous domaines (plasticien·nes, musicien·nes, comédien·nes, écrivain·es, photographes, etc.) et d’architectes, de designers, de spécialistes de l’environnement.

Depuis plusieurs années désormais, Derrière Le Hublot s’est engagée dans de nombreuses aventures artistiques qui ont invité et convient encore aujourd’hui des artistes à créer là où on ne les attend pas. Avec Fenêtres sur le paysage, elle est devenue chef d’orchestre d’un dialogue entre des œuvres contemporaines protéiformes (œuvres d’art-refuges, installations, rendez-vous artistiques…) et un patrimoine exceptionnel dotée d’une nature riche de contrastes. Avec Les Veilleurs de Capdenac, performance de Joanne Leighton, elle invite pendant 365 jours, une personne différente, matin et soir, à veiller une ville et ses paysages depuis un objet-abri unique, dessiné par Benjamin Tovo, installé sur les remparts de Capdenac-le-Haut.

Avec le Service d’art à domicile, Derrière Le Hublot convie l’enquête et le design afin de comprendre les véritables mécanismes à l’œuvre dans les situations d’isolement mais aussi et surtout, les mécanismes de care qui demeurent ici et maintenant sur son territoire. Avec ce service d’un nouveau genre, il s’agit également de concevoir un protocole de rencontre et d’intervention d’artistes aux côtés d’auxiliaires de vie et d’aides à domicile qui n’empiète pas sur leurs activités mais mobilise de manière pertinente leurs savoirs expérientiels.

Pour Derrière Le Hublot, comme pour vives voies, engagés ensemble dans ce travail de conception d’un service artistique et culturel innovant, enquêter sur « femmes du lien » et sur le vulnérable n’est nullement une façon de le discriminer mais plutôt de l’utiliser comme vecteur de connaissance et comme levier capacitaire, sans injonction aucune de performance, « même si l’assignation à résidence victimaire est une injonction qui ne dit pas son nom » (Fleury & Fenoglio, 2022).